Les Hospices de Beaune, une histoire pluriséculaire au service des pauvres

Ce joyau du patrimoine architectural bourguignon célèbre cette année le 580e anniversaire de sa fondation par le chancelier du duché de Bourgogne, Nicolas Rolin.           Cette commémoration nous permet de replonger dans l’histoire de cette vénérable institution.

La fondation

La guerre de Cent Ans a laissé le duché de Bourgogne, allié aux Anglais, dans un état calamiteux. Les brigands écument les campagnes, la famine fait des ravages et les maladies sévissent en laissant derrière elles leurs cortèges de morts et d’indigents.
Sensibles au sort des plus pauvres, le chancelier du duc de Bourgogne, Nicolas Rolin, et son épouse, Guigone de Salins, souhaitent créer une fondation pieuse qui soulagerait les plus démunis. Rolin choisit la ville de Beaune, cœur politique de la Bourgogne où siège à l’époque son parlement. À l’abri des pillards derrière ses remparts, la ville ne dispose d’aucune maladrerie ou de structure pour les pauvres. Le chancelier et son épouse obtiennent en 1441 l’accord du duc Philippe le Bon et du pape Eugène IV pour fonder un hospice. Des terrains sont acquis à proximité de la collégiale Notre-Dame de Beaune. Le 4 août 1443, Nicolas Rolin signe l’acte de fondation de l’établissement, qu’il dédie à la Vierge Marie et à saint Antoine.
Il faut attendre presque dix ans pour que l’Hôtel-Dieu soit achevé. La chapelle est consacrée le 30 décembre 1451 et, le 1er janvier 1452, l’institution accueille ses premiers patients. Nicolas Rolin en est le premier administrateur. L’hospice, au départ autonome de tout ordre religieux, est confié en 1459 à une congrégation de sœurs hospitalières créée par Rolin lui-même.

Le palais des pauvres

Lorsqu’on longe l’Hôtel-Dieu depuis la rue, rien ne laisse présager de la richesse architecturale et décorative de l’intérieur. L’établissement est construit sur un plan en forme de U, complété plus tard par une grange faisant de cet espace une cour intérieure rectangulaire. On y pénètre par un porche protégé par un auvent, délicatement décoré de style gothique flamboyant.
Le premier détail que le visiteur remarque, ce sont les toits en tuiles d’ardoise vernissées qui font la célébrité de l’hospice. Le chancelier Rolin en est l’instigateur, mais il destinait ce décor luxueux à la seule toiture de la grande salle des malades. Avec les siècles, l’ardoise a recouvert tous les bâtiments. Les toits sont ornés de motifs géométriques de quatre couleurs : rouge, brun, jaune et vert. Toutefois, le décor actuel n’est pas d’origine et date d’une restauration de 1902. Les bâtiments primordiaux aux ailes nord, est et ouest comportent deux étages, avec chacun une galerie couverte donnant sur la cour. Elles permettaient aux sœurs hospitalières de se déplacer à l’abri des intempéries. Les bâtiments historiques n’accueillent plus de patients depuis les années 1980. Le centre hospitalier Philippe Le Bon, ouvert en 1971, a peu à peu accueilli les malades de l’Hôtel-Dieu qui est aujourd’hui un musée et le principal site touristique de la région beaunoise.
À l’intérieur, la salle des pauvres est la pièce la plus imposante de l’institution. Longue de 50 mètres, large de 14 et haute de 14 mètres, elle est surmontée d’une charpente de chêne en forme de carène inversée avec des poutres traversières polychromes et sculptées. La décoration murale et le carrelage arborent le monogramme de Nicolas Rolin et Guigone de Salins. Le mobilier, d’inspiration médiévale, a été reconstitué pour les besoins d’une restauration de 1875, supervisée par le gendre de Viollet-le-Duc, Maurice Ouradou. Deux rangées de lits aux lourds rideaux sont adossées aux murs de la salle. L’espace central, équipé de tables, était réservé aux repas. À l’une des extrémités dans la salle des pauvres, la chapelle possédait au-dessus de son autel un retable du Jugement dernier, commandé par Nicolas Rolin au peintre flamand Rogier van der Weyden. Ce chef-d’œuvre de la peinture primitive flamande comporte quinze panneaux. Les dimanches et jours de fête, le retable était ouvert pour que les malades alités puissent le voir lors des offices. L’œuvre est aujourd’hui exposée dans une salle de l’hospice, aménagée pour assurer sa conservation. Guigone de Salins repose sous les dalles de la chapelle, selon son vœu.
D’autres salles accueillaient les malades. Au nord-ouest de la cour, la salle Saint-Nicolas abritait les cas désespérés. La salle Saint-Hugues, créée en 1645 par la bienfaisance d’Hugues Bétault, était dédiée aux malades aisés. Elle a été décorée par le peintre parisien Isaac Moillon sur le thème des miracles de Jésus et de saint Hugues, évêque de Grenoble.
Un hospice ne se conçoit pas sans une pharmacie où étaient préparés les remèdes des malades par les sœurs apothicaires. La partie officine de cette salle abritait les ingrédients nécessaires à la préparation des sirops, onguents, pilules et cataplasmes.

La vente du vin des Hospices

Cinq siècles de charité et de donations ont permis aux Hospices de Beaune d’acquérir un domaine viticole de 60 hectares sur les côtes de Beaune et de Nuits. Ces parcelles sont situées dans des zones produisant des premiers crus et grands crus bien connus des amateurs. Le produit du vignoble servait à financer l’hôpital et était administré comme médicament aux malades. Il est aujourd’hui encore l’une des principales sources de revenus de l’hôpital de Beaune.
En effet, depuis 1859, une prestigieuse vente aux enchères des vins a lieu chaque troisième dimanche de novembre. Pendant longtemps, cette vente s’est déroulée à la bougie dans la cour de l’Hôtel-Dieu, l’adjudication survenant après la dernière enchère, lorsque deux chandelles sont consumées. Ce procédé est encore utilisé de nos jours pour quelques crus. Chaque automne, c’est toute la production annuelle du domaine des Hospices qui est mise aux enchères. Les cuvées sont vendues sous forme de pièces, c’est-à-dire de fûts, d’une contenance de 228 litres chacun. Parmi les 400 à 600 pièces mises aux enchères, le montant de la « pièce du président » de la vente est versé à une ou plusieurs associations caritatives. Cette vente est la plus médiatisée et la plus lucrative, puisque depuis la fin des années 1970, des célébrités en assurent la présidence. La vente de 2010, coprésidée par Fabrice Luchini, est restée dans tous les esprits à Beaune.
Le vin des Hospices est devenu un placement sûr pour les investisseurs… et les amateurs de bon vin. Le montant total de la vente varie d’une année sur l’autre en fonction de la qualité et de la quantité de la récolte. La vente 2022, supervisée par Sotheby’s, a battu tous les records avec une somme de 31 millions d’euros, soit plus du double du record précédent remontant à 2018 ! Une récolte abondante, une qualité exceptionnelle et une notoriété internationale grandissante ont contribué à l’envol spectaculaire des enchères. Certaines pièces ont été adjugées à plus de 200 000 euros. Du jamais-vu !