6 juin 1944, le jour le plus long

Préparation et mise en place

En 1943, le Troisième Reich occupe une grande partie de l’Europe. Les Russes tiennent difficilement le front. Staline, Roosevelt et Churchill s’accordent pour ouvrir un nouveau front à l’ouest, afin de soulager l’Armée rouge et de prendre les Allemands en tenaille. Ces derniers sont dans l’attente d’un débarquement allié dès 1941. Depuis, l’ensemble des côtes, de Biarritz au nord de la Norvège, ont été fortifiées sur plus de 4 000 kilomètres. Ce titanesque ensemble de béton et d’acier se nomme le mur de l’Atlantique. L’opération Neptune (ou opération Overlord pour les anglophones), dirigée par le général américain Dwight D. Eisenhower, est prévue pour le printemps 1944 en Normandie, point le plus faible et le plus proche de l’Angleterre. L’objectif de cette opération est de créer une tête de pont afin d’y acheminer hommes et munitions. Ainsi, cela fait des mois que les Alliés rassemblent des troupes et du matériel au sud de l’Angleterre.

Alors qu’il inspecte le mur de l’Atlantique le 22 avril 1944, le maréchal Erwin Rommel comprend que ce lieu sera un champ de bataille décisif. Tout le contre-espionnage allemand indique depuis des mois que la Normandie sera le lieu du Débarquement, mais Hitler s’entête : il pense qu’il s’agit d’une diversion et que le grand assaut aura lieu sur la Côte d’Opale, entre Boulogne-sur-Mer et Dunkerque.

Afin d’entretenir l’illusion d’un débarquement dans le Pas-De-Calais, les Alliés bombardent avec fureur la côte ; ils laissent de fausses informations fuiter et installent une fausse armée dans le Kent, constituée de chars, de navires et d’avions gonflables. Ils mettent au point un plan brillant : le Débarquement sera divisé sur cinq plages renommées pour l’occasion. Les Américains arriveront par les plages d’Utah et d’Omaha, tandis que les Anglo-Canadiens débarqueront sur les plages de Juno, Gold et Sword. L’opération est prévue pour le 5 juin, mais les conditions météorologiques ne sont pas propices.

Le 5 juin, aux alentours de 21 h 15, Radio Londres diffusent les vers de Verlaine : « Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone ». C’est le signal ! La Résistance entre en action et sabote de nombreux trains et ponts pour ralentir l’ennemi. À 22 h 30, l’opération Neptune est lancée et le ciel de Normandie se met à bourdonner.

Les premiers assauts aéroportés

Dans la nuit du 5 au 6 juin, une opération aéroportée massive est prévue, à la fois pour sécuriser les flancs est et ouest du Débarquement, mais aussi pour saboter et détruire de nombreux objectifs capitaux afin d’entraver l’armée nazie. 1 200 avions décollent, dont 432 C-47 emportant avec eux 6 600 parachutistes de la 101e division aéroportée et 6 400 hommes de la 82e. Ces hommes sont largués sur le Cotentin, et leur objectif est de neutraliser artilleries et radars, tout en prenant les axes stratégiques. Dans le Calvados, des avions, dont neuf planeurs britanniques, larguent différents commandos dans le but de s’emparer des ponts de Bénouville (Pegasus Bridge) et de Ranville. Malgré les pertes (plus de 100 parachutistes se noient dans les marécages), presque tous les objectifs sont atteints : les Allemands sur la côte sont coupés des lignes arrières.

Le jour le plus long 

Toute la nuit, l’Air Force a bombardé en vain : à cause d’une erreur de calcul, plus de 5 000 tonnes de bombes sont lâchées trop en arrière sans effleurer les défenses allemandes. Les cuirassiers USS Texas et USS Arkansas tirent trop court sur Omaha et ne font aucun dégât. À 6 h 15, le premier assaut est lancé sur Omaha et Utah Beach. À Omaha, c’est un carnage ! Sur les 32 chars amphibies qui devaient appuyer l’infanterie, 27 coulent immédiatement, emportant leur équipage à cause de la houle trop forte. La première vague d’assaut composée de vétérans de la 1re division d’infanterie « Big Red One » est fauchée à 90 % en quelques instants. Les 32 000 soldats américains font face aux 2 000 soldats allemands retranchés. 

À 6 h 45, la seconde vague arrive, mais elle ne fait guère mieux. À 9 heures du matin, 10 000 hommes ont été débarqués sur cette plage. Le désastre est total : les radios ne fonctionnent pas à cause de l’eau et du sable, et près de 3 000 hommes sont blessés ou morts. De plus, les tanks sont détruits et rien ne semble parvenir à percer les défenses allemandes. Les corps et le matériel s’entassent sur la bande de sable qui se réduit à cause de la marée montante. La mer devient rouge, gorgée de sang… La situation est inextricable.

Le général Bradley en charge d’Omaha se retrouve face à un choix : continuer le carnage ou abandonner et mettre en péril l’opération Neptune. Sur les plages de Sword, Gold et Juno, le Débarquement commence une heure plus tard à 7 h 30 et se déroule mieux. Les troupes anglaises, canadiennes et le commando Kieffer (composé de 177 Français) combattent et avancent malgré les pertes. Contrairement à Omaha, les quatre autres plages sont bordées de dunes et non de falaises. De 11 heures à 13 heures, Bradley garde son sang-froid et continue d’envoyer des péniches de débarquement, car il reçoit de nombreux appels lui indiquant que tout se passe bien sur les autres plages et que les Allemands reculent de partout. Grâce à son calme et au courage des hommes sur la plage, des brèches commencent à apparaître chez l’ennemi. Le dernier Allemand d’Omaha sort de sa casemate et se rend à 15 h 30. Il s’appelle Heinrich Severloh et, à ses pieds, se trouvent 12 500 cartouches vides : avec sa MG-42, il a tué à lui seul plus de 100 soldats. Omaha Beach marque les esprits ; elle est rapidement nommée « Bloody Omaha » (Omaha la sanglante).

Entre Utah et Omaha se trouve une falaise de trente mètres de haut, formant un pic s’élançant dans la mer. Cet endroit a été fortifié par les Allemands : c’est la pointe du Hoc. De ce promontoire, les Allemands ont une vue imprenable sur les deux plages et peuvent pulvériser n’importe quel ennemi sur des kilomètres. Ils y installent six batteries côtières, protégées par un système de fortification, et plus de 100 soldats. Malgré des semaines de bombardement, l’installation est intacte le Jour J. Une unité de 261 rangers menée par le lieutenant-colonel Rudder est spécialement entraînée à cette mission depuis des mois. À 6 h 30 du matin, ces hommes sont jetés au pied de la falaise. Avec des échelles, des cordes et des grappins, ils escaladent les 30 mètres de falaise où les Allemands les attendent à l’abri. Les combats sont terribles mais brefs : en 30 minutes la pointe est prise. Cependant, les Américains doivent se battre durant plusieurs heures. Rudder et ses hommes constatent que la place est vide et que les canons n’étaient que des rondins de bois. Les Allemands avaient déplacé l’artillerie des semaines plus tôt. À la fin de la journée, seuls 90 soldats sont encore en état de se battre.

Sur les 150 000 hommes engagés dans le Débarquement, 4 400 sont tués le premier jour (dont 1 000 à Omaha) et 12 000 sont blessés. Les Allemands accusent le coup : ils perdent près de 9 000 hommes le 6 juin 1944.

En route vers la Libération

Quinze jours après la bataille, les Alliés installent deux ports artificiels à Saint-Laurent-sur-Mer et à Arromanches. Les blocs sont transportés d’Angleterre jusqu’en Normandie par la mer. Cette prouesse d’ingéniosité permet de débarquer 6 500 véhicules et 40 000 tonnes de matériel par semaine, afin de nourrir le front.

Pour l’anecdote, Hitler s’était couché tard dans la nuit du 5 au 6 juin. Lorsque le Débarquement survient, les officiers supérieurs présents auprès du Führer ne l’alertent pas, car il avait ordonné de ne le réveiller « sous aucun prétexte ». Partout en Normandie, les officiers demandent des divisions Panzer (division de chars) en renfort pour repousser les Alliés dans l’eau. Sur les 10 divisions présentes en France, une seule est en Normandie. Lorsqu’il se réveille, Hitler refuse de croire à cet assaut et pense toujours que le débarquement allié aura lieu vers Calais. À 15 h 30, il décide d’envoyer le reste des divisions de char sur les terres normandes, mais le mal est fait. Tous les ponts sur la Seine ont sauté et les chars vont mettre des jours à arriver, laissant ce temps précieux aux Alliés pour débarquer des chars et du matériel antichar. Hitler vient de faire sa première grande erreur stratégique, la première d’une longue liste !

Le Débarquement en Normandie est un événement majeur de la Seconde Guerre mondiale. Ce front qui s’ouvre à l’ouest marque le début de la fin pour le Troisième Reich. Cette gigantesque opération militaire est un coup de poker payant pour les Alliés. Malgré les pertes et le lourd traumatisme, cette journée est le début de la bataille de Normandie qui durera trois mois et qui verra s’affronter près de trois millions d’hommes. Environ 90 000 hommes toutes nationalités confondues reposent dans les cimetières militaires de Normandie. 20 000 Normands perdent la vie lors des bombardements et lors de la bataille. Aujourd’hui encore, les stigmates de cette bataille sont visibles partout sur la côte, mais le feu et l’acier ont désormais laissé place à la quiétude des bocages normands.