Le mythe doré du roi Midas

Dans la continuité de la série « La Semeuse », la Monnaie de Paris inaugure en 2023 une nouvelle collection consacrée aux mythes de l’argent, qui alimentent l’imaginaire des peuples européens depuis des temps reculés. Le premier mythe mis à l’honneur est celui du roi Midas. La légende de ce souverain de Phrygie, cupide et étourdi, repose sur la richesse proverbiale de la région en métaux précieux durant l’Antiquité.

Un roi historique

Le mythe du roi Midas puise ses origines dans l’histoire de l’Asie Mineure et du royaume de Phrygie au VIIIe siècle av. J.-C. Depuis le XIIe siècle av. J.-C. et la chute de l’Empire hittite, l’État phrygien domine le centre et l’ouest de l’Anatolie. Sous la menace des Assyriens du roi Sargon II, Midas s’allie vers 717 av. J.-C. au roi hittite Pisiri de Karkemish, un royaume situé sur l’Euphrate, pour les contenir. Hélas, Karkemish est annexé par l’Assyrie et le Phrygien doit se soumettre quelques années plus tard à
Sargon. C’est ainsi que nous avons trace de l’existence de Midas par les archives assyriennes.
Pour contrebalancer l’influence de Sargon II en Anatolie, Midas noue des alliances avec les cités grecques du littoral de la mer Égée.
Il épouse Hermodikè, fille du roi grec Agamemnon de Kimè. À l’époque, les Phrygiens devancent les Grecs pour le travail du métal et leur fournissent de nombreux objets en or ou en argent. Les fouilles archéologiques à Gordion, la capitale de Phrygie, ont révélé une culture propre et un mobilier indiquant une certaine opulence. Midas n’était-il pas réputé pour ses richesses prodigieuses ?  La fin du roi est tragique. À partir de 700 av. J.-C., la Phrygie est débordée par les attaques de Cimmériens, un peuple de cavaliers nomades venant de la steppe pontique dans l’actuelle Ukraine. Fuyant la pression de peuples voisins comme les Scythes, les Cimmériens envahissent l’Anatolie, où ils dévastent les territoires qu’ils traversent. Gordion est pris en 696 av. J.-C., mais la Phrygie résiste aux incursions répétées des envahisseurs jusqu’à plier dans une bataille rangée. Midas se suicide vers 675 av. J.-C. en buvant une quantité excessive de sang de taureau. Après sa mort, l’Anatolie est dominée par le royaume voisin de Lydie, mais la Phrygie survit comme entité autonome jusqu’au VIe siècle av. J.-C. et son intégration dans l’Empire perse des Achéménides.

Le Pactole et les premières frappes monétaires

L’existence du roi Midas est légèrement antérieure à la frappe des premières monnaies métalliques sur les bords de la mer Égée, autour de 650 av. J.-C. La Lydie, une région voisine de la Phrygie, est considérée par les auteurs antiques, et particulièrement par Hérodote, comme le lieu de naissance de la monnaie et de récentes découvertes archéologiques l’ont confirmé. La monnaie métallique s’est ensuite répandue dans tout le monde grec. Les monnaies rondes et étalonnées sont alors frappées en électrum, un alliage naturel d’or et d’argent disponible à l’état naturel dans les sables du fleuve Pactole, coulant à travers la Phrygie et la Lydie. L’expression « toucher le Pactole » est aujourd’hui encore synonyme de trésor et de richesses. Les filons en métaux précieux de ces régions ont alimenté les légendes de Midas et du fameux Crésus, ce roi lydien semi-légendaire qui régna de 560 à 546 av. J.-C.

Les légendes de Midas, roi cupide et étourdi

Ces figures barbares sont rapidement passées dans la mythologie grecque. Le mythe de Midas aurait été élaboré au VIe siècle av. J.-C. Les légendes décrivent un roi familier des dieux, mais le font aussi passer au mieux pour un imprudent, et au pire pour un sot. L’historien grec Hérodote (vers 480-425 av. J.-C.) l’évoque dans le prologue de son livre Histoires et le poète romain Ovide (42 av. J-C.-v. 18 apr. J-C.) narre le récit le plus connu sur le monarque dans ses Métamorphoses, dont voici le résumé. Les pouvoirs de Midas sont d’origine divine. Le dieu paillard Dionysos visite la Phrygie en compagnie du satyre Silène, son précepteur et père adoptif. De passage à Gordion, ce dernier, totalement ivre, se perd dans les immenses jardins du roi Midas. Les paysans le capturent et le remettent au roi, qui lui fait bon accueil. Dix jours et dix nuits de fêtes sont organisés en son honneur. Midas lui permet ensuite de retrouver en Lydie Dionysos, qui est à sa recherche. Pour le remercier, le dieu lui offre en présent le choix d’une récompense. Par cupidité, Midas demande à changer en or tout ce qu’il touchera. Vœu accordé ! Hélas, Midas fait un choix calamiteux, car en transformant tout en or, il s’empêche de boire et de manger, et dépérit. Midas supplie alors Dionysos de reprendre son cadeau. Le dieu, compatissant, accepte d’annuler son don au roi fautif. Il lui ordonne de se laver les mains dans les eaux du fleuve Pactole. En se purifiant, Midas enrichit les sables et les fonds du fleuve en or, expliquant sa fabuleuse richesse. Un autre mythe moins connu aujourd’hui concerne encore Midas. Quelques années plus tard, ayant retrouvé une vie normale, Midas est invité à arbitrer un concours musical entre les dieux Pan et Apollon avec les neuf Muses et le roi de Lydie, Tmolos. Les dieux s’affrontent, Apollon avec sa lyre et Pan avec sa flûte. Chez certains auteurs, le rival d’Apollon n’est pas le dieu Pan, mais le satyre Marsyas, qui jouait aussi de la flûte. Après avoir entendu les candidats, le jury se prononce. Midas est le seul à donner Pan vainqueur, Tmolos et les Muses lui préférant Apollon, qui l’emporte. Furieux du choix de Midas, Apollon se venge en changeant ses oreilles par celles d’un âne. Honteux, le roi rentre à son palais et se confectionne un bonnet pour cacher ses oreilles, le fameux bonnet phrygien. Durant toute sa vie, le roi portera ce bonnet, à l’exception de ses visites chez son coiffeur ! Ce dernier découvre rapidement le secret de Midas, et promet à son maître de ne rien révéler. Mais, incapable de tenir sa langue, le coiffeur, qui craint la colère du roi, s’isole et creuse un trou dans lequel il confie son secret à voix basse avant de le reboucher. L’année suivante, des roseaux y prennent racine et s’épanouissent. Au moindre souffle de vent, les plantes répètent le secret du coiffeur : « Le roi Midas a des oreilles d’âne ! » C’est ainsi que le secret si mal gardé s’ébruita et causa la perte du coiffeur : il finit pendu !