Les Françaises votent pour la première fois

Un pays en retard à la veille de la Seconde Guerre mondiale

Le premier pays à accorder le droit de vote mais non d’éligibilité aux femmes est la lointaine colonie britannique de Nouvelle-Zélande en 1893. En Europe, la Finlande encore dépendante de la Russie tsariste leur accorda des droits civiques en 1906 et permit à 19 d’entre elles de siéger au parlement l’année suivante. La Première Guerre mondiale fut un accélérateur et les grandes nations occidentales accordèrent des droits de vote et d’éligibilité aux femmes entre 1918 et 1920. L’action des suffragettes, les revendications socialistes et les aspirations d’une bourgeoisie progressiste avaient permis à la question des droits civiques des femmes d’émerger dans le débat public français dès la fin du XIX^e siècle. Hélas, malgré l’initiative de députés qui envisagèrent dès 1909 un projet de loi sur l’égalité des droits, aucune mesure ne passa le vote au Parlement en raison de l’obstruction du Sénat, bien plus conservateur que la Chambre des députés. La France était donc en retard dans les années 1930 par rapport à d’autres nations.

L’ordonnance du 21 avril 1944, un texte historique pour les femmes

La Seconde Guerre mondiale changea la donne. Tandis que l’idéologie vichyste réduisait les femmes à un rôle passif au sein du foyer familial, le mouvement de la France libre, en exil à Londres, pensait déjà à l’après-guerre et à leur place dans la future structure de l’État. Le général de Gaulle se prononça à plusieurs reprises en faveur de l’égalité des droits entre hommes et femmes. Le sujet fut donc mis au programme de l’Assemblée consultative d’Alger à la fin du mois de janvier 1944 lorsqu’elle délibéra sur l’organisation des pouvoirs politiques en France après la libération. Le président, communiste, de la commission de législation et de réforme de l’État, Fernand Grenier, proposa un amendement visant l’égalité complète des droits politiques des deux sexes. Si le principe de l’éligibilité et du vote des femmes faisait largement consensus, des délégués craignaient un déséquilibre en faveur des femmes aux prochaines élections en raison de l’absence des hommes, combattants, prisonniers, déportés ou réquisitionnés pour le Service du travail obligatoire. Grenier défendit énergiquement son amendement, lequel fut largement adopté par la Commission. L’ordonnance du 21 avril 1944 signée par de Gaulle énonçait ainsi dans son article 17 que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».

Les élections municipales du 29 avril 1945 : le premier scrutin ouvert aux femmes

L’ordonnance fut confirmée le 5 octobre 1944 par le gouvernement provisoire alors que le pays n’était pas encore totalement libéré. Les Françaises purent alors participer aux scrutins qui ponctuèrent l’année 1945, une première dans l’histoire du pays.

Ce furent d’abord les élections municipales du 29 avril 1945. Douze millions de Françaises votaient pour la première fois de leur histoire. Le taux de participation féminin fut équivalent à celui des hommes, même s’ils n’étaient pas tous rentrés dans leurs foyers. Le second tour fut organisé le 13 mai 1945. Les résultats nationaux furent nettement en faveur des forces de la Résistance puisque les électeurs reconduisirent majoritairement les administrations municipales provisoires mises en place avec la libération. L’élection de femmes aux instances municipales resta infime avec 3 % d’élues au niveau national. 22 femmes devinrent maires, comme Odette Roux, en tête d’une liste des partis de gauche aux Sables d’Olonne. Dans le petit village d’Echiney, situé dans le département de Côte-d’Or et comptant 130 habitants, tous les conseillers municipaux élus furent des femmes !

Un autre scrutin suivit le 23 septembre 1945 : les élections cantonales, qui confirmèrent les résultats des municipales. 39 femmes furent élues conseillères générales alors que près de 3 000 sièges étaient à pourvoir.

Les législatives et le référendum du 21 octobre 1945

Les premières élections législatives ouvertes aux femmes eurent lieu le 21 octobre 1945 ; elles étaient associées à un référendum sur la nature constituante de la prochaine Assemblée. 96 % des votants approuvèrent un changement de constitution et accordèrent ainsi aux députés le pouvoir d’écrire un nouveau texte.

Le scrutin fut favorable à la gauche : communistes, socialistes et radicaux obtinrent 60 % des voix et 362 sièges de la future Assemblée constituante. Le tout récent parti centriste MRP (Mouvement Républicain Populaire) récoltait de son côté 26 % des votes. 281 femmes se portèrent candidates à la députation. Elles étaient pour la plupart veuves de politiciens de la III^e République ou de résistants morts en martyrs, mais on trouvait aussi dans leurs rangs des épouses d’ex-parlementaires devenus inéligibles pour avoir voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain en 1940. Parmi les candidates les plus connues, citons Mathilde Péri, veuve de Gabriel Péri, député communiste de 1932 à 1940 et résistant fusillé au Mont-Valérien en 1941, et Madeleine Lagrange, veuve de Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux Sports et à l’Organisation des Loisirs dans le gouvernement Blum de 1936 et mort au front le 9 juin 1940. 33 candidates furent élues :
17 communistes, 5 socialistes et 9 MRP. Elles restaient minoritaires dans la Constituante puisqu’elles occupaient à peine 5 % des 586 sièges de l’Assemblée.

La rédaction d’une nouvelle constitution s’avéra difficile. L’Assemblée, dominée par la gauche, entra en conflit avec le général de Gaulle, président du gouvernement provisoire, et le MRP, qui souhaitaient un parlement bicaméral avec un pouvoir présidentiel fort. Face au « régime des partis » de la Constituante, de Gaulle démissionna avec fracas le 20 janvier 1946. La nouvelle constitution, qui donnait d’importants pouvoirs à l’Assemblée nationale, fut rejetée par le référendum du 5 mai 1946. La Constituante est dissoute et un nouveau scrutin législatif est organisé le 2 juin 1946. Une nouvelle Constituante est élue, toujours dominée par le trio MRP, SFIO et PCF. 30 femmes obtinrent un siège au Palais-Bourbon. Les députés rédigèrent un second projet de constitution qui revenait au bicaméralisme mais restait strictement parlementaire. Le texte fut adopté par l’Assemblée le 29 septembre 1946 et approuvé par les Français le 13 octobre 1946 ; il donnait naissance à la IV^e République.

La Monnaie de Paris et les droits civiques des femmes

Pour célébrer les 80 ans du droit de vote des femmes, la Monnaie de Paris avait dévoilé en 2024 une pièce déclinée en 10 € et 100 € en Argent. Au revers, le portrait d’une femme tournée vers la gauche symbolisant le chemin parcouru par les femmes dans leur lutte pour l’égalité des sexes. Plusieurs enveloppes et une urne représentent l’obtention du droit de vote acquis par l’ordonnance du 21 avril 1944, avec le millésime 2024 inscrit en parallèle de 1944, soulignant ainsi la date anniversaire. Dans la foulée, le Quai de Conti avait annoncé la sortie de trois nouvelles pièces de 10, 20 et 50 centimes d’euro rendant hommage à trois femmes d’exception reposant au Panthéon : Simone Veil, Joséphine Baker et Marie Curie. Une manière de rappeler par la numismatique que l’histoire d’un pays ne s’écrit pas qu’au masculin.