Le trésor de Lessay

La découverte

En 1970, Jacques Becquet, agriculteur, décide d’arracher une haie entre ses parcelles, au lieu-dit La Bouillonnerie dépendant du village de Cartot, situé à proximité de la ville normande de Lessay. Détruite au bulldozer, la trace de la haie ne disparaît pas totalement. À l’automne 1971, le cultivateur décide d’araser l’emplacement de l’ancienne barrière naturelle.

Bien lui en a pris, car plusieurs découvertes se succèdent entre septembre et décembre. Les coups de bulldozer ont endommagé l’emplacement initial du dépôt, et des monnaies se sont donc retrouvées éparpillées dans les divers tas de déblais. Initialement, le trésor était enfermé dans un pot de terre et les monnaies déposées sur une écuelle d’argent ; certaines de ces monnaies étaient isolées les unes des autres par un morceau de lin cousu (quatre gros aux lis et une florette).

L’étude du trésor est d’abord confiée au docteur Monard, puis au Cabinet des Médailles qui établira un catalogue détaillé. Ce trésor fait l’objet de plusieurs publications à la Société française de numismatique, dont une étude complète signée Françoise Dumas et Raymond Monard, avec reproductions photographiques, publiée en 1978.

La composition du trésor

Le trésor est composé d’objets d’orfèvrerie : une écuelle en argent martelée, sans pied (presque 15 centimètres de diamètre), d’un poids de 148 grammes, ainsi qu’une bague sigillée d’un seul tenant – qui servait sans doute de sceau – et gravée d’un « P » couronné, d’un poids de 11,95 grammes. Ces éléments ne sont pas des marqueurs de richesse, mais sont en revanche des signes de thésaurisation, puisque des objets comme l’écuelle peuvent être refondus.

Côté monnaies, le trésor comporte un ensemble de 543 monnaies d’argent réparties comme suit : 498 guénars du roi de France Charles VI ; 13 guénars des duchés de Bourgogne (pour Philippe le Hardi et Jean sans Peur) et de Bretagne (pour Jean IV), et de la seigneurie de Rumigny (en Belgique actuelle ; pour Jean de Rummen) ; six gros au lys de Charles VI ; 17 gros de Charles VI ; une florette du roi d’Angleterre Henri V et une florette de Charles VI ; sept blancs du duché de Bretagne.

Les monnaies ont été frappées dans 22 ateliers différents couvrant toute la France ; l’atelier le plus représenté, avec 121 monnaies, est celui de Tournai, en Belgique actuelle.

La datation du trésor

Pour une fois, nous connaissons le propriétaire originel du trésor. En effet, la bague sigillée porte un nom, celui de « P. LECLERS [ou C] ». En cherchant dans les registres des archives, le nom de Pierre Leclerc résidant à Sainte-Opportune (ancien nom de la commune de Lessay) apparaît. Celui-ci avait fait don d’une rente annuelle en nature à l’abbaye de Lessay ; par ailleurs, un document de l’abbaye deman-dait, en 1420, de réclamer cette rente aux héritiers de ce Pierre Leclerc ou Le Clerc. Malheureusement, la Seconde Guerre mondiale a laissé des traces dans le département de la Manche : la destruction des Archives départementales n’a pas permis d’établir une biographie plus précise de M. Leclerc, ni le montant de sa fortune.

1420 est également l’année de frappe de la monnaie la plus récente du trésor : il s’agit d’une florette du roi d’Angleterre Henri V qui avait abandonné, sur ses monnaies, le titre de roi de France. La date d’abandon de ce titre remonte au traité de Troyes de mai 1420.

Tous les indices concordent et permettent donc d’établir que le trésor, qui est une thésaurisation réalisée sur une courte durée, a été enfoui à partir de 1417, et ce, jusqu’en 1420, date du décès du propriétaire.

Une grande partie du trésor, dont l’écuelle et la bague, a été acquise par le Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale. Quant à la Banque de France, elle a acquis six monnaies. Il s’agit donc d’une belle découverte qui a pu être préservée grâce aux achats institutionnels. Ce trésor n’est pas le plus important en volume, mais son intérêt réside dans l’identité du propriétaire qui, une fois n’est pas coutume, est connue ; de plus, les raisons d’enfouissement semblent évidentes.